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Bien être au travail : “Un collaborateur heureux rend un client heureux” (2/2)

Philippe Studer

Dans la première partie de l’interview, Philippe Studer a raconté comment sa rencontre avec les peuples premiers l’a amené à transformer radicalement sa vision du travail et ses méthodes de management.

Après en avoir donné une illustration concrète, il évoque dans ce second volet comment il voit l’avenir pour faire évoluer cette expérience.

Laurence Perrin : Pourriez-vous dire que cette nouvelle façon de manager, de vivre ensemble serait un moyen durable et qui permettrait d’un côté de générer des profits et de l’autre de contribuer à faire du bien au monde ?

Philippe Studer : Un monde meilleur où chacun peut s’épanouir. Nous donnons une vraie liberté aux gens. Nous retrouvons une façon de vivre ensemble très stimulante. Tout n’est pas facile, mais le terreau est très pérenne. Une fois lancés sur ce chemin-là, pas question de s’arrêter et de revenir en arrière. Continuer, nourrir, cultiver. C’est un vrai bonheur partagé. Je pense qu’une entreprise doit apporter cela à tout individu.

Notre seule règle est : « Vous vous organisez comme vous le souhaitez, télétravail, horaires, congés…. Nous vous demandons juste deux choses : la satisfaction optimale du client et l’équilibre de votre vie professionnelle et de votre vie privée. Pour cela, écoutez votre petite voix intérieure et si vous n’y arrivez pas, j’en suis le gardien.” Nous l’avons déjà fait : « Guillaume, tu fais trop de choses, comment pouvons-nous alléger ta charge ? » Cela est de notre responsabilité.

C’est bien sûr différent et personnel selon chacun, d’équilibrer sa vie privée et sa vie professionnelle. Chacun veut donner le meilleur, selon ses performances. Nous sommes juste le garant de cela.

C’est chacun qui se dit : « Ecoute ta petite voix intérieure et si tu sens que ton corps ne suit plus, il faut que l’on en parle ».


Nous donnons une vraie liberté aux gens. Nous retrouvons une façon de vivre ensemble très stimulante.


L.P. : Cela veut dire que chaque membre de l’équipe a un regard bienveillant sur l’autre ?

P.S. : Complètement. Pour alerter et pour dire « Tu as vu Lionel ? – Oui, moi aussi j’ai remarqué. Il faudrait qu’on lui en parle et qu’on voit ce que l’on peut faire ».

Quand nous avons monté cette salle zen, certains chefs d’entreprises m’ont dit « Tu n’as pas peur qu’ils passent leur journée en salle Zen ? ». En fait, c’était plutôt l’inverse : il fallait arriver à faire en sorte que les équipes s’autorisent à y aller et à lâcher prise.

Certains m’ont dit : « Congés payés illimités, horaires illimités… Tu n’as pas peur qu’ils en abusent ? » Eh bien non, soit tu fais confiance, soit tu ne fais pas confiance. Il n’y a pas d’entre deux. Et ça se régule d’une façon tout à fait naturelle.


Quand ils sont autonomes et libres, ils ont vraiment envie de donner le maximum pour l’entreprise.


L.P. : Congé illimité, qu’est-ce que cela veut dire ?

P.S. : Si tu en ressens un besoin important, tu peux prendre plus de congés pendant une année. De manière officielle, nous faisons attention, mais officieusement, c’est comme cela que ça se passe. Si tu rencontres des moments difficiles à un moment donné de ta vie, pour des raisons X ou Y, l’entreprise va en tenir compte et te laisser le temps de respirer pour que tu reviennes plus fort.

L.P. : Concrètement, j’entends bien ce que vous dites. Ça paraît très bisounours. Mais qu’en dit l’équipe ? Comment vivent-ils avec ces choix possibles entre équilibre personnel et professionnel ?

P.S. : Ils disent que c’est une grande liberté et que cela leur plaît. Chacun s’auto-régule avec le groupe pour respecter le collectif. Nous ne rencontrons pas de souci de gestion à ce niveau-là. Quand ils sont autonomes et libres, ils ont vraiment envie de donner le maximum pour l’entreprise.

L.P. : Derrière cet effort de confiance, quelle est votre motivation ?

P.S. :  C’est devenu naturel aujourd’hui, je n’ai plus d’effort à faire de ce côté-là, c’est vraiment incarné. La motivation à mon retour du voyage est que je ne voulais plus travailler comme nous travaillions avant, car ce que nous faisons n’avait pas de sens.

L.P. : Besoin de sens ?

P.S. : Oui. C’est la rencontre avec ces peuples premiers qui m’a éclairé là-dessus. Il faut du sens pour faire avancer un collectif ensemble.


Il faut du sens pour faire avancer un collectif ensemble.


L.P. : Quelles sont les valeurs sur lesquelles vous appuyez aujourd’hui votre management ?

P.S. : Nous avons différentes valeurs :

  • Ne cherchons pas à motiver les coéquipiers, mais plutôt faisons-leur confiance.
  • Ne cherchons pas à tout maîtriser, à tout gérer, mais aimons-nous.

Des valeurs qui peuvent paraître un peu « bisounours » mais ce sont des valeurs fortes. Notre vision est d’être inspirant et d’apporter notre pierre à un monde meilleur. Nous entreprenons beaucoup d’actions collectives. Nous appliquons le concept RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) et nous sommes engagés dans le développement durable. Nous co-organisons Tdex, qui n’apporte rien à notre métier, mais qui permet au collectif de vivre ensemble une aventure humaine et de donner du sens à ce que nous faisons.

L.P. : Vous êtes dans une dynamique de partage, de lien, de vivre ensemble ?

P.S. : Le vivre ensemble, pour un collectif, est je pense important. Auparavant, nous étions solidaires, mais nous n’étions pas réellement ensemble. C’est un grand changement.


Notre vision est d’être inspirant et d’apporter notre pierre à un monde meilleur.


L.P. : Il y a aussi la notion d’épanouissement de soi ?

P.S. : Avec une perception de la relation au temps complètement différente. Nous n’avons pas plus de temps, mais nous utilisons le temps de façon plus qualitative en “nous autorisant à”. Nous avons une approche et une posture totalement différentes.

Par exemple, aujourd’hui 9 personnes sont impliquées dans la co-organisation du Tedx. En 2009, si je leur avais dit “demain, on co-organise un Tedx”, ils m’auraient pris pour un fou. Ils n’auraient jamais suivi, en arguant qu’ils n’avaient pas le temps de rajouter encore du travail.

P.S. : Alors qu’aujourd’hui, c’est naturel. C’est une vraie envie, une aventure humaine à partager ensemble. Avec le Tedx, je m’épanouis, parce que je vais coacher quelqu’un, je vais grandir moi-même et quelque part, c’est EDinstitut qui me permet de le faire.

C’est un peu la réalisation d’un micro-rêve que je n’aurais pu faire dans le cadre de la vie privée. Le micro rêve est un petit projet que les coéquipiers n’ont pas eu le temps de mener ou de mettre en œuvre, et que l’entreprise va leur permettre de réaliser.


Le micro rêve est un petit projet que les coéquipiers n’ont pas eu le temps de mener ou de mettre en œuvre, et que l’entreprise va leur permettre de réaliser.


L.P. : De quel ordre est ce micro rêve ? Personnel, professionnel, social ?

P.S. : Peu importe, vous avez envie de réapprendre à jouer du piano, de la guitare, d’aller à la salle des ventes à Drouot, d’apprendre à faire du mime, de reprendre des cours d’anglais…

L.P. : Concrètement, comment réagissez-vous si je vous dis que j’ai un micro rêve : apprendre à jouer du piano ?

P.S. : Par exemple, nous avons un bureau à Dijon où nous avons installé un piano pour Elise. Elle finance ses cours et s’entraîne entre midi et deux.

Autre exemple : Romain adore les bibelots, il rêvait d’aller un jour à la salle des ventes à Drouot. Lors d’un salon professionnel de 2 jours, nous lui avons proposé de rester une 3ème journée à Paris pour aller à Drouot.

Ou parfois, c’est tout simplement mettre une personne en relation avec d’autres réseaux afin qu’elle puisse aboutir à son micro-rêve. Ce sont souvent de très petites choses, mais qui permettent de faire en sorte que la personne soit la plus épanouie.

L.P. : Vous prenez en compte l’individu dans ses besoins très personnels dans la dimension professionnelle ?

P.S. : Je dirais que c’est presque une évidence. Parce que si l’individu est bien sur le plan personnel, il sera bien sur le plan professionnel. Et les deux sont imbriqués. Avec les nouvelles générations, c’est important de tenir compte de cet équilibre.

L.P. : Comment voyez-vous évoluer la suite de cette expérience ?

P.S. : Dans notre histoire, j’aimerais bien encore aller plus loin dans notre diversification, dans notre créativité. Ce sont deux axes importants pour nous. Nous commençons aussi à réfléchir sur la transmission de l’entreprise, que nous réservons aux coéquipiers. Nous souhaitons qu’il y ait un collectif qui se monte pour la pérennité de l’entreprise et que ce soient les équipes qui reprennent l’entreprise.

L.P. : Des collaborateurs qui deviennent propriétaires de leur entreprise ?

P.S. :  Tout à fait, nous commençons à y réfléchir.

L.P. : Comment imaginez-vous que ces dimensions de partage, de collaboration, puissent être mises en œuvre ailleurs ? Est-ce possible ?

P.S. : Bien sûr, c’est possible, dans tous secteurs et dans des entreprises de toute taille. En fonction de la taille, il faut se structurer en mini-équipes. L’idéal, c’est 30 personnes. Nous pouvons monter jusqu’à 50, mais c’est plus compliqué à gérer.  

Ce schéma-là n’a pas été cultivé pendant 150 ans. Il faut que le nouveau monde s’ouvre. Et je pense que c’est en train de se faire. Aujourd’hui, j’estime que 3 à 4  % d’entreprises en France sont sur ce chemin-là. Nous pensons que demain, l’entreprise qui ne sera pas sur cette voie de changement et de transformation risque d’avoir de gros soucis. Tout le monde peut le faire. Le plus difficile à changer, c’est la culture de l’entreprise, les états d’esprit. Et surtout, le “top management” doit pouvoir remettre son ego au service du collectif. Il faut avoir la volonté de le faire. Et l’envie, et la force.


Le plus difficile à changer, c’est la culture de l’entreprise, les états d’esprit.


L.P. : Quelles sont les questions d’autres patrons d’entreprises, des idées fausses que l’on vous a renvoyées par rapport à votre démarche ?

P.S. :  L’idée fausse est de se dire que nous allons y aller en claironnant « ok, maintenant on va faire confiance. » Non, ça ne peut pas marcher comme cela, il faut vraiment y aller pas à pas et mettre en oeuvre des actes concrets. Et la confiance va venir. Mais ça prend du temps, environ 3 ans je pense pour que les premiers effets soient visibles. Et pas faire semblant d’emmener le collectif et rester sur des décisions très descendantes.  

Il faut beaucoup d’échanges et une vision à 360, en laissant un peu tomber les égos et le pouvoir, en particulier avec la nouvelle génération. J’ai discuté avec une DRH qui me disait « J’ai été assez surprise lors d’un entretien annuel lorsqu’un jeune m’a demandé à la fin : «  Et vous Madame, comment cela se passe-t-il dans votre activité ? ». Il a retourné la question !” La DRH était quelque peu surprise mais c’était tellement authentique et spontané, qu’elle a trouvé cela bien. Il faut que ce soit un vrai partage, un vrai dialogue.

L.P. : Quels seraient les messages que vous pourriez transmettre à ceux qui voudraient entrer dans cette démarche ?

P.S. : De dire qu’il faut être patient – que la clé de voûte, c’est la confiance. Il faut réellement accorder sa confiance et lâcher prise soi-même. Il faut travailler sur soi avant tout. Il faut travailler avec les autres dirigeants avant de diffuser à l’ensemble des collaborateurs, et puis s’armer de patience. Quoi qu’il en soit, c’est une belle aventure, un beau chemin à suivre sur lequel on ne peut revenir en arrière.

L.P. : La nouvelle génération a besoin d’échanger ?

P.S. : Complètement ! Et elle est en train de chambouler les codes. Je pense que cette mouvance vers une entreprise plus humaniste et collaborative, c’est plutôt positif.


 La clé de voûte, c’est la confiance.


L.P. : Parvenez-vous à travers cette posture à y associer la dynamique financière en terme de gain ?

P.S. : C’est la conséquence. Je reviens à ce que vous avez dit avant. Nous ne sommes pas dans un monde de bisounours, nous le faisons pour qu’il y ait un engagement plus grand des collaborateurs. Et donc une plus grande performance. Mais si vous allez rechercher la performance en premier, vous ne pouvez pas lâcher prise. Il faut d’abord être mieux, pour être meilleur ensuite.

L.P. : Le bonheur individuel ?

P.S. : Oui, le bonheur individuel et collectif.

Si le chef d’entreprise ne lâche pas prise, qu’il s’attache au KPI ou aux indicateurs, ça ne peut pas fonctionner. Avant, j’avais un compte de résultat mensuel, aujourd’hui j’ai peut-être un bilan annuel. Nous n’en n’avons même plus besoin parce que nous savons que la bonne volonté de tout le monde est mise en œuvre, que chacun va donner le meilleur, et que le résultat sera là. Et croyez-moi, le résultat est plutôt au rendez-vous.

Les choses arrivent sans que nous les cherchions réellement, parce que nous avons du sens. Et les gens de l’extérieur le sentent. Nous sommes plutôt inspirants. Les clients viennent plus facilement vers nous parce qu’ils ressentent autre chose. En ce qui concerne la performance sur le marché, c’est pour nous très positif.

L.P. : Votre message est «  Soyons heureux » ?

P.S. : Soyons heureux, soyons confiants, ne soyons pas stressés.


Les choses arrivent sans que nous les cherchions réellement, parce que nous avons du sens.


L.P. : Nous en revenons à notre discussion de départ qui est de s’ancrer à la terre.

P.S. : C’est un regard différent. Les peuples premiers sont des sociétés où le collectif prime sur l’individu, car ils ont besoin de cette solidarité. Ils savent qu’ils n’existent que par le collectif. Ils se concertent longtemps avant d’agir. Et ça, c’est un enseignement phare que j’ai ramené.

L.P. : Le temps, la prise de distance…

P.S. : Cela permet d’aller à la rencontre de soi et des autres. C’est une posture qui n’est pas facile à transmettre, parce qu’il faut que la personne ait cette envie-là et qu’elle ne soit pas trop pressée par le temps. Sinon, ça ne peut pas fonctionner. Mais croyez-moi, après c’est assez fabuleux.

Si j’ai des doutes, je les partage. C’est pour cela que je ne suis plus stressé, parce que je partage avec l’équipe, j’ai des feedbacks et les collaborateurs apprécient ces partages. Ils les acceptent, il n’y a plus de tabou. Nous en parlons simplement ensemble, c’est beaucoup plus fluide et beaucoup plus simple au quotidien.

L.P. : C’est votre démarche personnelle au travers de votre posture, de votre philosophie de vie.

Vous avez pu intégrer des éléments sur lesquels vous appuyer, tels la confiance, donner du sens, de la responsabilité, permettre l’initiative, être libre, se sentir soi et pouvoir s’autoriser à se donner du temps. Cette expérience-là vous nourrit et vous épanouit. C’est ce que vous transmettez à vos équipes.

P.S. :  Tout à fait. Nous nous nourrissons mutuellement.

L.P. : Connaissez-vous d’autres entreprises qui fonctionnent selon le même schéma ?

P.S. : Oui, il y en a quelque-unes en Alsace : Carola à Wattwiller, SEW Usocom, Wolfberger, l’APF. Je pense qu’en alsace, nous avons un terreau très favorable d’entreprises humanistes.

L.P. : Merci d’être un patron humaniste.

Merci pour nous. C’est très inspirant et cela donne une vision très différente.

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