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Bien être au travail : “Un collaborateur heureux rend un client heureux” (1/2)

Philippe Studer, Bien être au travail

Philippe Studer a fondé EDinstitut en 1985, une entreprise alsacienne d’une quinzaine de salariés spécialisée dans les études marketing.

Sa passion : corréler le bien-être au travail et satisfaire le client. Sa devise : “Un collaborateur heureux rend un client heureux.”

Laurence Perrin l’a rencontré pour écouter son histoire et sa vision du bien être au travail. Interview.

Laurence Perrin : Parlez-moi de votre histoire personnelle

Philippe Studer : Chez nous, il y a eu un déclic en 2007, ou plutôt une prise de conscience de ma part. L’activité existait depuis 20 ans et nous avancions « la tête dans le guidon ». Sans le savoir, nous avions cette culture castratrice pour tout le monde, focalisée sur le reporting, les process et le contrôle.

Je me suis rendu compte que j’étais un manager paternaliste descendant, qui n’aime pas trop que l’on contrarie ses choix. Humaniste, mais très descendant sur les orientations de l’entreprise. Cela ne permettait pas de nous épanouir, ni les équipes, ni moi-même.


Sans le savoir, nous avions cette culture castratrice pour tout le monde, focalisée sur le reporting, les process et le contrôle.


L.P. : Vous n’étiez pas nourri du travail de votre équipe. Qu’est-ce qui a permis cette prise de conscience en 2007 ?

P.S. : La prise de conscience était là mais je ne savais pas comment faire. La seule solution que j’ai trouvée a été de prendre le large.

C’est pour cela que j’ai quitté l’entreprise en leur laissant les clés. Je suis parti une année en famille pour me ressourcer auprès des peuples premiers.


J’ai quitté l’entreprise en leur laissant les clés.


L.P. : C’est là que vous avez laissé l’équipe complète se débrouiller et être autonome ?

P.S. : Tout à fait ! Avant de partir, nous avions déjà préparé les choses. Je voyais que les lignes bougeaient dans le bon sens avec une autonomie plus importante des équipes, une responsabilité qui grandissait. Des équipes assez extraordinaires qui prenaient les choses en main et qui en étaient fières.

Pour moi, c’était un peu plus difficile. L’égo en prend forcément un coup. Nous n’avions pas besoin de moi finalement. Mais c’était bien, car je partais en voyage pendant un an. C’était important de faire cette préparation-là.

L.P. : Ce voyage, c’est l’aération de la tête, de l’esprit ?

P.S. : C’est tout à fait cela. C’est une aération de la tête, c’est un lâché prise : s’aérer l’esprit, se reconnecter à la terre aussi. Beaucoup de contacts avec la nature.

Avec les peuples premiers, nous sommes dans la nature. Il n’y a plus de chef d’entreprise, plus de concept de développement durable ou d’environnement.

L.P. : C’est une reconnexion à la terre ? Ce qui vous a permis de vous reconnecter à votre cœur ?

P.S. : Oui, sans doute. C’est un retour aux choses essentielles et au sens que l’on donne à la vie, à la famille. Nous menions aussi des actions humanitaires pour la préservation de ces peuples. Cela avait un vrai sens et nous avons fait des rencontres fabuleuses.

C’est sûr qu’en revenant en France, je me me suis posé beaucoup de questions, en tant qu’adulte et en tant que chef d’entreprise. Quand j’ai poussé la porte du bureau, j’avais beaucoup de craintes et de peurs. Allaient-ils accepter de se transformer et d’aller chercher du sens ?


 Avec les peuples premiers, il n’y a plus de chef d’entreprise, plus de concept de développement durable ou d’environnement. Nous sommes dans la nature. 


L.P. : L’équipe que vous aviez laissée en 2007 est toujours la même aujourd’hui ?

P.S. : Complètement. Elle est restée fidèle. C’est vrai qu’au début, il se sont dit « Philippe, tu es bien sympathique, tu reviens d’une année sabbatique, mais nous on a plutôt beaucoup bossé. On a fait du +15 sur un marché qui était plutôt décroissant.” Faire du +15, c’est extraordinaire ! Je pense qu’il y avait aussi une certaine fierté de leur part.

Pour moi, l’idée était de nous transformer. Nous avons pris le temps de la réflexion et nous avons changé tous nos codes. Nous nous sommes concertés pendant une semaine en dehors des tables de réunion. Nous avons beaucoup échangé sur ce que nous voulions et surtout sur ce que nous ne voulions plus. C’est ça l’idée : qu’est-ce que nous ne voulions plus ?

P.S. : Une des premières actions concrètes a été de se dire « Tous nos clients un peu compliqués, qui nous causent du tracas, nous allons nous en séparer. »


A mon retour, nous avons pris le temps de la réflexion et nous avons changé tous nos codes.


L.P. : Vous avez fait un tri, un choix ?

P.S. : Un choix et un tri. Cela fait un peu mal aux tripes ! Avec certains clients, nous réalisions une très bonne marge, mais les équipes sortaient complètement épuisées.

Pour le premier client que nous avions identifié, cela s’est fait très facilement. Bien sûr, nous nous en sommes séparés d’une façon diplomatique et progressive.

D’autres chemins s’ouvrent alors. Cela permet aussi de donner un signal fort aux équipes : ce qui est le plus important, c’est votre bien être au travail à vous avant tout.


Donner un signal fort aux équipes : « Le plus important, c’est votre bien être au travail avant tout. »


L.P. : Associer bien être au travail et performance financière ?

P.S. : Oui, mais ça c’est une conséquence. Nous ne le voyons pas forcément au début. Nous pensons d’abord que nous allons perdre de la marge. Se séparer d’un client, c’est plutôt un sacrifice. Mais croyez-moi ensuite, il y a d’autres chemins qui s’ouvrent et qui sont beaucoup plus intéressants et épanouissants pour les équipes, et plus rentables pour l’entreprise.

L.P. : Vous êtes un patron unique. Vous quittez l’entreprise avec l’idée « je fais confiance et je responsabilise les équipes ». Nous sommes déjà sur le concept de l’entreprise libérée.

P.S. : Oui, mais ce n’était pas l’idée de départ. Je suis revenu en 2009 et nous avons commencé à cultiver l’autonomie, la responsabilité et bien sûr la confiance. C’était alors le maître mot. Nous l’avons incarné et vécu.

En 2011 et 2012, nous avons commencé à prendre conscience du chemin parcouru parce que des sociétés extérieures venaient nous rendre visite pour voir cela. Nous n’en n’avions pas conscience, mais cela a complètement changé notre façon de vivre ensemble à mon retour. C’est clair, nous nous sommes transformés.

L.P. : Quelle est cette nouvelle façon de vivre ensemble ?

P.S. : C’est le jour et la nuit. Avant, j’étais un manager stressé. Aujourd’hui, je suis un porteur d’eau pour les équipes, un gardien de la vision et des valeurs.

Je suis là quand ils ont besoin de moi, en facilitateur, en accompagnateur. C’est un rôle complètement différent. Je suis là pour permettre aux équipes de s’épanouir. C’est mon rôle premier, c’est 80% de mon temps. C’est mon rôle de manager aujourd’hui : s’ils ont besoin de moi, je suis là, qu’ils n’hésitent pas à me solliciter.


Avant, j’étais un manager stressé. Aujourd’hui, je suis un porteur d’eau pour les équipes, un gardien de la vision et des valeurs.


L.P. : Comment faites-vous pour permettre à vos équipes de s’épanouir  ?


Je soutiens mes équipes pour expérimenter, même s’ils font des erreurs. Car faire des erreurs, c’est apprendre, tenter de nouvelles expériences, être plus créatif aussi.


P.S. : Quand j’arrive le matin, je les écoute, je leur parle, je leur demande comment ils vont. C’est beaucoup d’écoute.

Ensuite, je suis là, en écoute basse. Ce n’est pas moi qui vais les orienter, je fais en sorte qu’ils aient confiance en eux, et qu’ils prennent eux-mêmes les décisions. Même si je ne suis pas forcément d’accord avec eux.

Je les soutiens pour expérimenter, même s’ils font des erreurs. Car faire des erreurs, c’est apprendre, tenter de nouvelles expériences, être plus créatif aussi.

L.P. : Le soubassement de la relation que vous mettez en place avec vos collaborateurs : c’est la confiance !

P.S. : Oui clairement. C’est la base du système. C’est « je te fais confiance tout de suite ». C’est une confiance absolue.


Nous avons tous besoin d’autonomie et de responsabilité. Chacun à des degrés différents.


L.P. : Et de cette confiance, vous donnez les clés et la possibilité de prendre des initiatives, de mener des projets ?

P.S. : Effectivement, aujourd’hui nous sommes sur le mode “envie”. Mais cela prend beaucoup de temps. Je pense que nous ne sommes pas formés dans notre système éducatif à ces prises d’initiatives. Certaines personnes sont plus lentes que d’autres. Il faut les respecter aussi.

Je pense que nous avons tous besoin d’autonomie et de responsabilité. Chacun à des degrés différents. Parfois, il peut y avoir des petites marches arrière. Il m’arrive d’être déçu en tant que manager. Il faut donc être très patient et ne pas croire que tout est rose.

Mais je pense que nous avons gagné en maturité. D’autant que sur un marché aujourd’hui complexe, nous avons réussi à nous diversifier et à nous transformer.

L.P. : Par rapport à cette ouverture d’esprit, que vous avez dû mettre en place et que vous avez été chercher au travers de l’expérience de votre voyage. Quel a été le plus grand défi ou l’obstacle que vous avez dû surmonter ?

P.S. : Que les équipes s’autorisent à lâcher prise et à retrouver de l’énergie dans les moments plus difficiles.

Aujourd’hui, cette salle Zen où nous nous trouvons, est la pièce la plus importante. Nous pourrions supprimer toutes les pièces sauf celle-là ! Nous en avons réellement besoin pour nous ressourcer, et être plus forts ensuite.

Cette salle est devenue vivante, mais cela a pris beaucoup de temps. J’ai dû donner l’exemple pour que cela fonctionne. Il est clair que, si je ne viens pas moi-même faire des micros siestes ici, les coéquipiers n’y viendront pas non plus.

L.P. : Cette salle Zen est un moyen de montrer que le bien être au travail s’installe dans le quotidien du collaborateur ?

P.S. : Oui, complètement. C’est un signal fort que nous avons concrétisé avec les équipes, car c’est une idée collective. C’est que nous appelons chez nous le micro rêve collectif. Ce sont les équipes qui ont décidé de cela. Personnellement, mon frein était de ”s’autoriser”. Cela prend du temps.

Prendre des initiatives, partir de l’envie de chacun, ça se cultive, ça se travaille et cela prend beaucoup de temps.


Prendre des initiatives, partir de l’envie de chacun, ça se cultive, ça se travaille et cela prend beaucoup de temps.


L.P. : Cette salle est le  lieu où chacun peut se donner du temps pour soi. Concrètement, comment ça se passe ? C’est un peu tous les jours ?

P.S. : Tout à fait. Cet après-midi nous avons des massages, la semaine prochaine de la sophrologie. Ensuite, chacun vient pour une micro sieste, un moment de détente, afin de se ressourcer, de lâcher prise. La salle est occupée tous les jours.

L.P. : Les personnes viennent ensemble ou séparément ?

P.S. : Cela dépend. La sophrologie, nous la faisons souvent à 3 ou 4. Les micro siestes ou les temps de lecture sont un peu plus individualisés. La salle est un peu petite. Nous avons le projet de déménager et d’en prévoir une beaucoup plus grande.

L.P. : Qu’est-ce que cela signifie ? La personne travaille sur son poste et ressent un moment de tension. Elle se dit « je m’autorise, je lâche prise par rapport à mon travail. Et je viens me prendre un temps pour moi ? »

Bien-être au travail, Philippe Studer

P.S. : C’est complètement cela. Nous leur disons « Plus vous avez de stress, plus vous êtes sous pression, et plus vous devez venir en salle Zen ». Quand vous êtes moins stressés, tout va mieux. C’est là que vous vous relâchez et que vous repartez plus fort.

L.P. : C’est ce voyage qui vous a permis d’en arriver là, aujourd’hui ?

P.S. : Oui complètement. C’est une véritable prise de conscience sur le sens. Nous ne donnions pas de sens à ce que nous faisions. C’était toujours plus, du reporting, du suivi, du contrôle, et finalement pourquoi ?


Aujourd’hui, lorsque je quitte le bureau, j’ai une sérénité extraordinaire.


L.P. : A quoi ressemblait votre vie, à l’époque ?

P.S. : Une vie très remplie, mais j’avais quand même réussi, depuis le début de la création de l’entreprise, à prendre des temps personnels. Je n’étais pas un acharné du travail. Je faisais toujours mes voyages annuels pendant 1 mois. Et ça, j’en avais besoin. Mais j’étais stressé.

Aujourd’hui, lorsque je quitte le bureau, j’ai une sérénité extraordinaire. Je sais que nous sommes un collectif, que nous travaillons ensemble avec une grande confiance au sein des équipes. Toutes les décisions importantes, nous les prenons ensemble. Ce n’est plus moi qui supporte tout en tant que dirigeant. Je partage tout cela.

L.P. : On parle souvent de solitude du dirigeant ou du manager. Etes-vous sortis de cette solitude ?

P.S. : J’ai même du mal à me dire comment je pouvais faire avant pour tout supporter seul. Alors qu’il est tellement logique de le faire ensemble, d’avancer ensemble. La préparation et la concertation prennent peut-être plus de temps, mais nous regagnons ce temps par la suite, ainsi qu’une sérénité d’esprit extraordinaire.

L.P. : Depuis votre voyage, une bonne dizaine d’année s’est écoulée. Cela voudrait-il dire que tout ce parcours mérite du temps ?

P.S. : Oui, nous avons préparé mon absence en 2007 et je suis parti en 2008-2009. Il nous a fallu un an et les quatre derniers mois ont été intenses. Je suis revenu en septembre 2009. Je pense que les premiers effets importants sont intervenus 2 ou 3 ans après. C’est vraiment très long.

La salle Zen est un micro rêve collectif qui est né 2013. C’est vraiment une conséquence du travail mené en termes de confiance, de responsabilité et d’autonomie. Nous n’aurions jamais pu imaginer cela dès mon retour.

L.P. : Les éléments que vous notez sont très clairement ceux de la psychologie positive identifiés comme moyens de motivation. Comment mesurez-vous cette nouvelle façon de vivre ensemble, de déléguer, de responsabiliser, de donner confiance ?

P.S. : La première mesure est que nous sommes toujours là aujourd’hui. Je pense que si nous n’avions pas entrepris cette transformation, ce ne serait pas le cas. Notre marché est très compliqué. La diversification est plutôt réussie, elle nous a donné cette bouée d’oxygène.

Nous avons aussi une mesure interne de la qualité de vie au travail. Nous nous appuyons sur les 4 piliers de la méthodologie « RIRA », selon laquelle l’entreprise doit être Respectueuse, Inspirante, Respirante et Apprenante.  

Les coéquipiers recommanderaient-ils à d’autres de travailler chez EDinstitut ? Le score va de -100 à +100. Et nous sommes à +57. Je fais beaucoup de mesure maintenant, chez des clients externes. Je n’ai pas encore trouvé un score aussi élevé. 57, c’est très fort.

Nous avons un vrai attachement, une vraie fierté et surtout, nous attirons beaucoup de gens de l’extérieur qui ont envie de recommander de travailler chez nous.

Retrouvez la suite de l’interview, mardi prochain 29 mai 2018

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